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Découvrez le récit d'une destinée singulière de Badinter

En ces temps de crise découvrez le récit de vie Idiss de Robert Badinter

Découvrez le récit d’une destinée singulière : Idiss, Fayard 2018 de Robert Badinter

 

L’ancien premier ministre de la Justice a publié un livre personnel en 2018, Idiss qui rend hommage à sa grand-mère maternelle.

Ce livre entre dans la catégorie des récits de vie et pourtant il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. La modestie de ce projet nous interpelle car le livre nous paraît complexe dans sa simplicité narrative affichée. Cette modestie se double d’une pudeur extrême qui va dans le sens du dépouillement mais qui n’enlève rien à l’émotion dominée mais bien présente et perceptible en filigrane. Le récit de la vie d’Idiss appartient à un genre mineur, au carrefour de genres plus reconnus et théorisés comme la biographie, l’histoire, l’essai, mais dans sa simplicité revendiquée, il nous offre un beau texte qui nous touche immédiatement.

Il faut aussi se méfier de cette simplicité apparente volontairement mise en avant par Badinter quand il choisit lui-même le mot “simplement” pour qualifier son projet d’écriture : “il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé”. Il ne faut pas mettre en doute la sincérité de cette confidence. Chez Badinter il n’y a aucune coquetterie littéraire mais une sorte d’exigence pour rendre cet hommage de la façon la plus juste possible. Il ne veut surtout pas représenter à travers le portrait d’Idiss celui d’une héroïne romanesque.

Idiss n’est pas une biographie car c’est toute une famille qui entoure Idiss (le mari, les fils, la fille Charlotte, la mère de Robert Badinter à qui un hommage encore plus discret est rendu même s’il n’est pas avoué, ses petits enfants). Ce n’est pas une étude sur les immigrés juifs. Badinter ne prétend faire ni une étude historique et sociologique, objective et scientifique de ces immigrés, encore moins une étude exhaustive, car il choisit, à travers le filtre de ses souvenirs, de ses émotions contenues, de sa sensibilité et de son imagination (“une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé”) de représenter la condition de ces immigrés à travers l’objectif très restreint d’une femme et de sa famille. Mais si l’étude” de ce milieu perd en connaissance historique, le récit de vie y gagne en densité, émotion. L’entreprise est d’autant plus délicate que ce récit n’a pas le sérieux de la recherche historique, ni l’intérêt esthétique de la fiction ou même de l’autobiographie. Le genre choisi est complètement libre, aux frontières des genres connus, reconnus, théorisés. Le travail d’ écriture est à la fois simple et complexe. L’interprétation des événements importants ou infimes exige de la finesse et de la pudeur. Cette interprétation suppose que l’auteur trouve un équilibre subtil entre le devoir d’objectivité et une vision forcément imprégnée de subjectivité.

Avec beaucoup de naturel, l’auteur dessine la destinée singulière d’Idiss. Née en 1863 en Bessarabie, Idiss rejoindra à Paris, à la fin de la première guerre mondiale, ses deux fils et son mari Schulim. Elle connaîtra des années paisibles jusqu’à la mort de Schulim. Leur situation matérielle, difficile au début, s’améliore avec le commerce des vêtements usagés et leur recyclage. Idiss se modernise peu à peu et se parisianise “à sa manière discrète” Inconsolable de la mort de son mari, elle ne trouvera une raison de vivre qu’au sein de la famille constituée par ses deux fils Avroum et Naftoul, sa fille Charlotte et ses deux petits fils.

Cette vie ordinaire croise les grands événements de l’histoire du XXème. La vie d’Idiss comprend des moments heureux comme le mariage de Charlotte avec Simon, des petits moments familiaux devenus des rites importants dans sa vie ordinaire comme les rituels goûters le jeudi après-midi dans un salon de thé. La fin de vie d’Idiss va s’assombrir puisque Idiss va mourir à Paris pendant la seconde guerre mondiale, veillée par son fils cadet, l’oncle Naftoul. La mort d’Idiss survient au printemps 1942, en pleine occupation et son enterrement, devant une poignée de parents et d’amis, sera discret comme fut sa vie :

“Personne ne prit la parole”, “C’était le temps du malheur”.