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Discours remise des Prix 2020

Remise des Prix du 25 février

INTRODUCTION

Je suis heureux et comblé cette année par l’harmonie qui existe entre les deux Prix Document et Littérature et même entre les deux Prix et la mention spéciale spéciale “Découverte du Patrimoine Limousin” (que nous remettons pour la 1ère fois).

Ces trois distinctions répondent parfaitement aux buts que s’est fixés l’ARAL depuis sa fondation : défendre l’identité, la richesse, les valeurs intrinsèques d’un territoire : le Limousin. C’est le sens aussi de notre nouvelle distinction qui non seulement met en valeur un musée limousin exceptionnel, mais à l’intérieur de ce Musée (pour une bonne partie de l’exposition permanente) des artistes limousins comme Cécile Sabourdy, Existence, Robert Masduraud, André Roubaud, Clarisse Roudaud (de Magnac Bourg).

Tous les trois défendent une certaine notion de l’appartenir à laquelle nous sommes nous-mêmes attachés. Appartenir à un terroir, pas seulement de manière nostalgique même si la nostalgie fait partie de ce sentiment d’appartenance mais on sait aussi que c’est insuffisant pour comprendre le lien le plus profond que nous avons avec un terroir.

Ces affinités entre les deux Prix sont étonnantes : Le livre d’Olivier Nouaillas reposant sur un grand nombre de portraits, on est frappé par les affinités qu’il y a entre le héros creusois (artisan, artiste, poète) dans le roman La pierre intérieure et ces portraits que l’on trouve dans le document La Brézentine, une rivière en résistance.

Dans ces deux Prix 2020, on se rend compte à quel point l'homme et la terre qu'il peuple depuis des siècles sont « interactifs », à quel point l'un influence l'autre. Ce lien est comme un cordon nourricier qui nous lie aux éléments. Il n’y a pas de production mécanique de ce sentiment qui ne peut se construire que sur un mode sensible et imaginaire. Ce sentiment est un vivre. Il sert de défense et de protection face à un mode de vie qui l’invite à se disséminer, s’aliéner, à vivre de manière consumériste dans l’immédiateté et la superficialité des rapports.

Celui qui a le sentiment « d’appartenir » n’essaie -t-il pas de lutter contre un monde qui tente de nous mettre hors de nous-mêmes?


OLIVIER NOUAILLAS, UNE RIVIÈRE EN RÉSISTANCE, LA BRÉZENTINE

Le jury a choisi cette année un livre qui réunit avec bonheur une solide étude scientifique, sociale et économique, et un récit témoignage personnel, plus littéraire, en partie autobiographique.

Le sujet central du livre pourrait paraître au premier abord aride et technique (la pollution d’une rivière par une usine). Mais dès le prologue, le lecteur est embarqué dans un récit aussi personnel que scientifique (les données scientifiques dans le domaine de l’eau, de la flore et de la faune sont très riches).

Il s’agit d’un document passionnant, sur un sujet important, la pollution, qui nous concerne tous. L’enquête est approfondie et rigoureuse comme le prouve par exemple le chapitre sur les sources de la Brézentine (double enquête passionnante aux archives et sur le terrain pour comprendre qu’il s’agit d’une source éparpillée qui a “un chevelu important”) et l’auteur joue un rôle de premier plan dans l’action entreprise par une association dont il a été Président pour sauver cette rivière et obtenir la mise aux normes de l’entreprise, cause depuis des décennies de la pollution. En ce qui concerne le sujet premier, le combat d’une Association pour sauver leur rivière, il faut souligner combien l’auteur à partir de cet exemple met en valeur le rôle essentiel de la vie associative en milieu rural. C’est grâce au tissu associatif et à son combat courageux contre les puissances industrielles, celles de l’argent, mais aussi contre les institutions en général bien silencieuses et lâches, que l’environnement parvient à être sauvé sur tel ou tel terroir. Cette enquête scientifique doublée d’un récit témoignage dresse au fil de l’enquête, et on aurait presque envie de dire de la marche, car l’auteur est un marcheur, d’une galerie de portraits attachants. Portraits de personnes diverses et sympathiques qui ont une sensibilité écologique : vieux paysans natifs de ce coin de terroir creusois mais portraits aussi de femmes et d’hommes venus d’ailleurs, parfois d’un autre pays, et qui se sont attachés à La Brézentine et à ses paysages, car les paysages ne sont pas absents. Ils font partie d’ailleurs des multiples enjeux soulevés par ce livre au-delà de la question première : la pollution des eaux de la rivière.

Ce livre fait une place remarquable à la dimension humaine de ces acteurs de la vie associative environnementale. Il n’y a pas de militantisme écologique mais un souci constant de la question écologique, d’une action bien plus sensible et humaniste que politique et idéologique. Au sein de cette action, l’humain prend toujours le pas sur la technique.

Le travail d’Olivier Nouaillas est un modèle du genre. Jamais on ne peut lui reprocher d’être approximatif ou superficiel. Il s’investit dans son projet avec lucidité, intelligence, et avec le coeur aussi. Son combat et celui de l’Association qu’il préside (que ses amis de la Brézentine lui ont demandé de présider, alors qu’il vivait à Paris) coïncide aussi à un retour aux sources familiales. Même si l’auteur n’a jamais cessé de revenir sur ces lieux de son enfance avec sa femme et ses enfants, il les redécouvre à l’occasion de ce combat, à la fois dans une perspective historique qu’il trouve aux archives avec la carte de Cassini par exemple (carte remarquable fabriquée au 18ème par les frères Cassini) et surtout dans l’action, puisque ces lieux il va les parcourir lentement en chaussant des bottes et en marchant. Aucun portrait n’est gratuit; Chaque nouvel ami rencontré lui permet de saisir le rapport nourricier, intime qui réunit les paysages et les hommes. L’auteur lui-même prend le temps de s’arrêter quand il se sent bien, dans un espace paysager : “je m’assois, je regarde, j’écoute, je suis bien....”. Le journaliste enfant du pays savoure le rapport que ces hommes entretiennent avec le temps : “Prendre son temps, c’est un peu cela la philosophie des gens de la Brézentine”. François, l’un des paysans creusois auprès duquel il prend le temps d’échanger, lui dit avec une grande conviction que l’auteur et le lecteur partagent : “Me faisant partager sa passion pour ses terres, il confie en regardant la ligne d’horizon : “Ce paysage me nourrit, m’imprègne, me force. Il faut intervenir le moins possible par la mécanisation, qui doit être une aide et non pas un bulldozer. Le terroir, cela compte pour moi”.

Au cours de cette traversée, de cette marche à pied de 24 kilomètres de la source de la Brézentine jusqu’à sa confluence avec la Sédelle, Olivier Nouaillas revisite le pays de son enfance, dans des espaces ignorés des touristes et il revient aux origines de son histoire. Cinquante-cinq après il retourne sur un pont où il allait pêcher enfant avec son grand-oncle, le pont de Bijou qui est d’ailleurs aujourd’hui plus pour lui “un lieu d’observation, voire de méditation que de pêche”.

On voit que ce livre dépasse les enjeux d’un excellent document. L’auteur, l’analyste est aussi acteur. Sa sensibilité enrichit plutôt qu’elle ne la limite sa réflexion jamais partisane et politique sur l’action écologique. Au-delà du cas étudié, celui de la Brézentine, ce livre offre une généreuse contribution à une réflexion plus large sur la sauvegarde de notre environnement, des paysages.

Pour terminer cette présentation, j’aimerais revenir sur les mots que l’auteur adresse à ses futurs lecteurs, à la fin du prologue, pour leur expliquer pourquoi il a entrepris la rédaction de ce livre : “Et peut-être aussi pour vous donner le goût de défendre, là où vous êtes à votre tour, les sources des campagnes, des arbres des forêts, les bouts de verdure des villes”.

Puisse-t-il être entendu!

 


ARTHUR BRAC DE LA PERRIERE, LA PIERRE INTÉRIEURE

Votre beau roman, La pierre intérieure, repose sur un sujet orignal et sur une intrigue riche qui réunit deux actions romanesques complémentaires : une enquête et une quête. Cette double structure qui fait la richesse du roman concerne le personnage principal de Célyne dans lequel le romancier a sans doute mis beaucoup de lui-même mais aussi le personnage de Gilbert, le sculpteur poète creusois que Célyne va rencontrer après la découverte de la sculpture de pierre d’un petit garçon qui va faire basculer sa vie. L’enquête sur l’origine de la statue et la quête identitaire du personnage principal sont intimement liées.

La découverte par hasard de cette petite statue dans un magasin d’Aubusson plonge Célyne dans une partie d’elle-même qu’elle ignorait, qu’elle ne peut pas comprendre, ni expliquer. Elle se contente de vivre intensément une émotion faite de joie et de peine. Le fil directeur de tout le roman se trouve là dans cette rencontre au début du roman lorsque Célyne se “retrouve figée devant le buste d’un petit garçon en pierre dont les yeux sont cachés par la main d’un adulte”. Elle va être confrontée au mystère de l’histoire de la statue mais plus encore et très progressivement au mystère de l’être qui sommeille en elle : “Célyne observe dans le miroir la statue de l’enfant de pierre; Elle a l’étrange sentiment que les yeux de l’enfant ne sont plus masqués par la main mystérieuse. Elle sent un regard posé sur elle. Son propre regard. Célyne se voit dans la glace, comme si elle était ce garçon, à côté, en dehors de son corps”. L’art d’Arthur Brac de la Perrière se trouve en partie dans cette manière qu’il a de soulever des questions philosophiques sur l’identité sans passer par le didactisme. A travers des scènes émouvantes, pleines de charme, il exprime une pensée par image, une pensée poétique. Dans un second temps, et même si elle ne constitue pas une révélation aussi bouleversante et immédiate, la rencontre avec le sculpteur Gilbert va jouer un rôle important dans le cheminement de Célyne qui ne peut plus arrêter cette révolution qui s’opère à l’intérieur d’elle-même. Même si leurs échanges sont parfois conflictuels, comment Célyne resterait-elle insensible au comportement de Gilbert si éloigné de sa vie parisienne : “combien de fois a-t-il caressé la peau du monolithe avec ses grandes mains, doucement, les yeux fermés, à l’écoute de la fée dormant au creux de la pierre?”

Avec Gilbert, Célyne découvre non seulement un mode de vie qui est aux antipodes du sien, et qui repose sur une conception du temps qui refuse l’accélération, fait une place à la lenteur, à la méditation, au silence, au suspens, à l’insu, mais elle est confrontée aussi à une dimension importante de sa vie qu’elle semblait avoir complètement oubliée et enfouie : la poésie.

On sent que La pierre intérieure n’est pas qu’un beau roman inventif et bien écrit, mais s’enracine dans le terreau d’une expérience singulière et profonde. Votre lecteur a l’impression heureuse que vous avez écrit ce texte sous l’impulsion d’une nécessité intérieure. Cela ne s’invente pas.

Dans ce roman qui me frappe par sa tonalité romantique (si on donne à romantisme une acception trans-séculaire, éternelle) et qui fait penser à la veine des romans rustiques et des romans d’artistes sandiens, cette double révélation provoque l’évolution de Céline qui va porter de plus en plus un regard satirique sur le monde parisien des affaires dans lequel elle accomplit toujours une belle carrière jusqu’à la fin du roman, jusqu’à ce qu’elle réalise qu’elle est arrivée au “bout du monde moderne” (expression de Gilbert) et qu’elle “casse le fil”. Cette évolution de Célyne semble ressembler à celle du romancier.

Mais l’évolution centrale de Céline ne doit pas cacher l’évolution de Gilbert. Si Gilbert l’artiste sculpteur et poète a joué un rôle crucial dans la révolution intérieure que vit Célyne, il n’est pas allé lui-même au bout de son évolution et de sa quête identitaire. La rencontre fortuite avec une boîte de peinture qui restait dissimulée dans un meuble de famille va précipiter à la fin du roman cette évolution. Après avoir fermé son atelier de sculpture, l’artiste un peu désemparé est à son insu dans l’attente d’un événement qui le réveille et le bouleverse pour achever son parcours d’homme et d’artiste. La rencontre avec la peinture, ses premiers tableaux qui ont un accent un peu brut et primitif et qui vont tout de suite séduire Célyne, ouvrent une brèche dans sa vie qu’il ne pouvait pas imaginer, une ouverture sur le monde et une libération.

Par voie de conséquence, sur le plan esthétique, ce roman qui traduisait la dimension de la sculpture, celle de la pierre grise, rencontre lui aussi la couleur.

En faisant cette découverte, il faut souligner que Gilbert pense immédiatement à sa grand-mère qui avait dissimulé la boîte : “Aimait-elle la couleur dans une famille qui préférait la pierre brute?”

Ce roman délivre un message fort : comment vivre dans le monde moderne ? Quel autre moyen, nous tenons à le redire, que l’imaginaire et le mode poétique de l’intuition pour appréhender une question aussi profonde et sensible sans tomber dans les pièges d’écriture de la littérature engagée ou le didactisme d’un essai?

Arthur Brac de la Perrière a trouvé le ton juste. Les échanges entre Céline et Gilbert ne manquent pas d’humour parfois. Le cheminement de l’héroïne la conduit à une solution qu’Olivier Nouaillas a formulée lui-même sur un autre plan, collectif, dans son document : la résistance : la résistance à l’uniformisation, la standardisation de nos vies.

Michon dit que l’écrivain a besoin que son texte se hausse au-dessus de celui qui l’écrit. Michon n’est pas loin de penser que l’oeuvre – quand elle relève de l’urgence, de l’impulsion d’une nécessité et non d’un jeu- renvoie à une forme de grâce, est peut-être la seule preuve de la grâce.

C’est ce que vous nous offrez aujourd’hui.


 

Venez découvrir au coeur du Limousin le musée Cécile Sabourdy

Le Musée Cécile Sabourdy de Vicq sur Breuilh, ouvert il y a cinq ans à partir de la remarquable réhabilitation du Presbytère du XVIIème, en 2014, est un musée exceptionnel qu’il faut découvrir, .

On y trouve d’abord une exposition permanente remarquable sur les peintres naïfs (Sabourdy, Existence, Bauchant, Masduraud, Roubaud, Clarisse Roudaud, etc.) et ensuite une exposition temporelle à la hauteur de l’ensemble et de la mission de découverte de l’art naïf et primitif que porte la conservatrice et son équipe avec exigence et passion.

Lorsque Stéphanie Birembaut, à qui nous sommes heureux de remettre pour la première fois cette mention spéciale “Découverte du Patrimoine Limousin”commente les oeuvres exposées, nous vivons un moment de révélation rare sur cet art naïf tellement la démarche de la conservatrice est éclairante en plongeant dans l’art particulier de chaque artiste qu’elle sait parfaitement - en évitant le piège de la psychologie jargonnante- rattacher à une personnalité, à une sensibilité elle-mêmes uniques. Face à l’art naïf, qui par définition, s’affranchit des règles classiques de la peinture, la conservatrice de ce Musée met une sensibilité très fine au contact d’un savoir solide. Son commentaire semble nourri par la rencontre harmonieuse devant chaque nouvel artiste, devant chaque toile, entre la sensibilité de l’artiste naïf, qu’elle devine et sa sensibilité propre.

C’est ce qui entraîne ses visiteurs le plus loin possible dans l’univers et le style particuliers de tous ces artistes.

Ne prenons qu’un exemple, celui de Cécile Sabourdy. Comprendre Cécile Sabourdy, c’est d’abord permettre au visiteur de ce Musée de lire cette artiste unique au filtre du Limousin, terre inspiratrice et fondatrice de l’oeuvre. Il ne s’agit pas pour autant d’une oeuvre simplement régionaliste. Cette oeuvre nous plonge dans le mystère de la création poétique.

Pour entreprendre un commentaire aussi approfondi et subtil de cette oeuvre, il importe que le critique d’art assume - la subjectivité de son regard, car le savoir historique, technique ne suffit pas pour éclairer ce qui est à l’origine d’une création aussi inclassable. C’est ce regard sensible, jusque dans les détails de l’oeuvre, qui donne le ton juste et révèle la couleur de cette oeuvre singulière.

Ce regard ne porte pas sur un objet mais cherche à entretenir un lien avec un sujet qui n’est jamais figé. Ce commentaire place ainsi le visiteur qui découvre ce Musée au coeur du secret de la représentation et de l’écriture artistique, de la personnalité de l’artiste, au plus profond de sa vision.

C’est pour toutes ces raisons, Madame, que l’ARAL a choisi de vous décerner sa première mention spéciale “Découverte du Patrimoine Limousin 2020.