Conférence présentée à Limoges, dans l'amphi Clancier de la B.F.M. à l'initiative de l'Association Régionale des Amis du Limousin (A.R.A.L.), le 26 mars 2018 par MAURICE ROBERT
Il y a plus de 2 ans que le Limousin est entré en Aquitaine non parce qu'il l'a décidé, mais parce qu'on l'a décidé dans la sphère politique, au prétexte d'une nouvelle décentralisation rendue indispensable, disait-on, d'une part pour réaliser des économies d'échelle et d'autre part pour constituer des régions qui devaient avoir la capacité de se mesurer, en Europe, à de plus grandes, plus efficaces, plus dynamiques dans le contexte de la mondialisation.
Je voudrais examiner les premiers effets de cette réforme, vue du Limousin. Je crois avoir trois raisons - au moins - de m'exprimer sur ce qui est devenu une préoccupation pour une partie de nos compatriotes.
La première raison est que je suis citoyen limousin, militant associatif, ancien membre du Conseil Économique et Social du Limousin, et qu'à l'un seul de ces titres je peux m'exprimer sur les événements dont je suis témoin. Je l'ai d'ailleurs fait il y a un an dans la chronique d'une revue régionale et dans une conférence à Bordeaux.
La seconde raison est que, chercheur en sciences humaines et sociales, j'ai consacré au Limousin bien des enquêtes et plusieurs travaux qui, peu ou prou, en ont illustré sa personnalité et ses qualités.
Enfin, j'ai représenté le Limousin - avec mon collègue Vallin - en qualité d'expert à la commission dite « du nom de la Nouvelle Région » (nous étions onze experts et dix grands élus régionaux).
Mon propos n'est ni d'engager ou de susciter une polémique, mais de tenter d'analyser la situation actuelle sous les influences culturelles et historiques passées, puis, si vous le voulez bien, d'établir un échange entre nous. Mais ne vous attendez pas à recevoir quelques propositions de schémas routier, ferroviaire ou aérien. Cependant, pour plus sociologiques et culturelles qu'elles soient, elles n'en seront pas moins concrètes, et incitatives, en tout cas je l'espère.
Les études sur l'Aquitaine ne sont pas abondantes et proportionnellement, bien moins que sur le Limousin. Pour ma part je me reporte, outre ce qu'ont pu m'apprendre quelques séjours dans cette région atlantique, surtout à l'ouvrage collectif dirigé par Charles Higounet, Histoire de l'Aquitaine, le plus sérieux et complet jusqu'à il y a peu, Higounet, dont j'ai profité de quelques cours à Bordeaux comme de ceux de Bernard Guillemain.
Quand j'ai connu la publication du Professeur Jean-Marie Augustin : Histoire de la Nouvelle-Aquitaine (600 pages), à La Geste, j'avais déjà rédigé une bonne partie de cette conférence. Mais j'ai été rassuré de lire dans l'introduction de cet excellent ouvrage que l'auteur (…) laissait de côté les aspects économiques, sociaux et culturels (…), qui figurent dans les propos d'aujourd'hui… Pour le Limousin, j'étais déjà pourvu.
1 – Conditions territoriales
Comme ce fut le cas pour le Limousin, c'est César qui nous a révélé l'Aquitaine. Plus encore que le Limousin, l'Aquitaine a pourtant une très forte histoire préhistorique, et les sites éponymes y sont nombreux. Il est probable que de ce territoire sont venus en Limousin les premiers visiteurs. Le néandertalien de La Chapelle-aux-Saints, en Corrèze, a des compatriotes en divers sites aquitains comme La Ferrassie, Le Moustier, La Quina.
A cette époque, le Limousin avait déjà son berceau lémovice, alors que l'Aquitaine comportait, pour le moins, une trentaine de peuples et autant d'idiomes, que les Romains, au temps de Dioclétien, regroupèrent arbitrairement entre Première, Seconde Aquitaine et Novempopulanie, laquelle deviendra (capitale Eauze) la Vasconie, occupée au VIe par les Vascons ibériques d'origine basque, puis la Gascogne vers 850 avec Auch pour capitale. Le duché de Gascogne sera uni à l'Aquitaine en 1063 et au XIIIe, son sénéchal l'administrera. Cette Aquitaine s'étendait, au nord, de Poitiers et Bourges au sud, aux Pyrénées, à l'ouest, à l'Océan, et à l'est à l'Auvergne. La Narbonnaise, précédemment conquise vers -120, en était exclue.
L'Aquitaine fait partie, au IVe, au plan religieux, de la « province du Sud », territoire placé sous l'autorité d'un Préfet domicilié à Trèves. Le Limousin alors avait son propre diocèse probablement avec Martial, comme Poitiers avec Hilaire. Cependant se manifestent déjà des hérésies. Mais si en Limousin, Valérie est décapitée pour s'être convertie, à Bordeaux, c'est l'évêque qui subit le même sort pour magie et sorcellerie. L'Aquitaine est territorialement toujours tripolaire tant sur les plans administratif que religieux et le Limousin toujours unitaire. Si, contre l'armée romaine, à l'initiative de Vercingétorix, les aquitains se sont faits timides et peu agressifs, les Lémovices ont levé plusieurs milliers de soldats.
Mais au IVe siècle, Augustoritum (Limoges) n'est pas encore une capitale intellectuelle, comme l'est déjà Burdigala (Bordeaux), avec ses quatre Facultés ou Chaires (grammaire, rhétorique, droit et philosophie). J.-M. Augustin affirme qu'au IVe siècle, l'Aquitaine romaine est une province culturelle de la romanité.
Au XIIIe siècle le duché d'Aquitaine est Plantagenêt, devenu La Guyenne. Le Limousin, au sud de la Vienne, est alors en Guyenne et y sera encore au traité de Brétigny-Calais en 1360 qui reconstitue le duché d'Aquitaine, dont les limites administratives seront encore plusieurs fois modifiées jusqu'en 1789 et qui comporta 5 Généralités (Tourny y fut Intendant après Limoges), le Bas-Limousin se retrouvant dans la Généralité de Bordeaux, quand Angoulême était dans celle de Limoges.
En résumé, on peut dire que, durant près d'un millénaire et demi, le territoire de l'Aquitaine n'a cessé de fluctuer et n'a jamais eu une identité lisible, même en Guyenne anglaise, alors que le Limousin est resté homogène, bien que des féodalités s'y soient localement imposées et opposées et si l'administration, la géographie et l'histoire ont pu y distinguer Bas Limousin, Haut Limousin et Marche, laquelle, tenue par un Boson, fut un territoire « cédé » par Aliénor en 1199 à un Luzignan qui lui devait l'hommage.
La diversité et la variabilité territoriales autorisent le Professeur Augustin à intituler sa préface : « territoire à géographie variable » et à Charles Higounet d'écrire : « les Bénédictins n'ont rien publié sur l'histoire de l'Aquitaine. C'est qu'ils savaient à quoi s'en tenir : il n'existe pas une Aquitaine, mais il y (en) a eu tant qu'il était impensable de pouvoir enserrer une histoire dans une notion territoriale aussi fluctuante ». Voici un premier point.
2 - Conditions économiques réciproques
Comme le Limousin, l'Aquitaine a toujours été profondément rurale et on a même dit que la race bovine limousine y puisait ses origines.
Mais au-delà de cette ressemblance, il faut remarquer les différences : l'une de ces régions, le Limousin, a surtout cultivé les céréales, seigle et blé noir en particulier, vécu de raves et de châtaignes ; l'autre, l'Aquitaine, du seigle aussi, et du millet et très tôt, peut-être dès le IVe siècle, surtout de la vigne initiée en Aunis et Saintonge, en Gascogne, puis dans le Bordelais. La structure agraire en dépend : petites surfaces et propriétés en Limousin, grandes étendues en région de viticulture.
Apparaissent aussi d'autres ressemblances, comme le développement du métayage dès le XVIe siècle. Un certain déclin agricole et commercial qui se produira quelques décennies plus tard en Aquitaine, mais un renouveau se manifestera au début du XVIIIe, sous l'influence de l'arrivée de produits exotiques et le développement du commerce extérieur vers l'Angleterre et l'Amérique. Ce ne sera le cas du Limousin, dans l'économie rurale, qu'avec l'introduction de la culture de la pomme de terre, consommée localement, surtout à partir du XIXe.
Le commerce des produits agricoles et des vins entraînera le développement de grands entrepôts internationaux à Bordeaux et dans les trois premiers quarts du XVIIIe, la valeur commerciale y sera multipliée par 20, ce qui ne sera pas le cas du Limousin.
Ce n'est véritablement qu'au début du XXe siècle que l'agriculture aquitaine initie sa révolution, ce qui est aussi le cas du Limousin, comparaison toute partielle, car l'Aquitaine, la Gascogne en particulier, accuse un retard d'un demi siècle en matière de mécanisation, en raison surtout des conditions de la structure agraire, peu favorable au machinisme, en régions de viticulture en particulier. Or, quelques siècles auparavant, Limoges et son pays, étaient déjà un carrefour commercial occidental, sur les routes du sel et des métaux, et bénéficiait d'un comptoir vénitien, avec des relations entre la Méditerranée, l'Armorique et Paris.
En matière industrielle, l'Aquitaine n'a eu, la plupart du temps, que des établissements artisanaux de forges, de corderies, de filatures, de moulins, qui pouvaient occuper une petite main-d'œuvre, et les villes étaient dépourvues d'importants établissements, mises à part Bordeaux, secondairement Angoulême, Ruelle, Bayonne ou La Rochelle, où l'adaptation avait cependant été lente et souvent insuffisante. Naturellement, on doit tenir compte de l'importante activité commerciale de Bordeaux, comme cela a été dit. Ce n'était pas le cas du Limousin, province de l'intérieur, mais qui possédait quelques temps d'avance avec la tapisserie d'Aubusson, l'exploitation de l'or et même du charbon, la métallurgie à Tulle, le textile à Brive ou la céramique en Haute-Vienne. Charles Higounet pourra écrire (p. 334) : A l'aube du XIXe l'Aquitaine n'avait pas de véritable tradition industrielle. Alors que le Limousin allait accomplir, l'une des premières régions françaises, sa révolution industrielle.
3 - Aux plans politique et social
C'est en partie en raison de l'état économique et manufacturier et d'une précoce déchristianisation que le Limousin connaîtra, bien avant l'Aquitaine, des avancées idéologiques et sociales, dès la première moitié du XIXe siècle, au moment des révolutions de 1830 et 1848 et qui, peut-être, s'étaient déjà manifestées sous la Révolution de 1789 quand le Limousin était « montagnard » et l'Aquitaine naturellement « girondine ».
Les Trois Glorieuses des 27, 28 et 29 juillet 1830, qui entraînèrent la démission de Charles X et l'arrivée de Louis Philippe, provoquèrent en Aquitaine, des manifestations de joie (on ressort les drapeaux tricolores) quelques émeutes et des « épurations » administratives. A Limoges c'est un bureau de quatre membres qui prend la place du Préfet ;1830 y consacre l'avènement des idées socialistes et saint-simoniennes, ceux-ci constituant une «École ». Ces influences se prolongeront avec le socialisme de Pierre Leroux.
1848 prit un caractère véritablement révolutionnaire en Limousin, surtout à Limoges qui proclama la République dès le 20 février, quand Bordeaux attendit le 29. Les paysans eux-mêmes se révoltèrent à Ajain (Creuse) et l'affrontement avec la force publique fera 16 morts. L'Aquitaine connut quelques révoltes sans graves conséquences, mais partout, comme en Limousin, on planta des arbres de la Liberté, et la peur s'empara des populations Limoges était déjà devenue la Rome du Socialisme (Pauline Roland) et Bordeaux restait très modérée idéologiquement.
Le plébiscite de mai 1870, qui donna à Napoléon III une large majorité, fut moins favorable en Aquitaine urbaine, bien que très variable. En Limousin, la Creuse se distingua par son approbation (près de 95%) et Limoges par son vote négatif (près de 50%). La proclamation de la République fut largement approuvée après Sedan et Bordeaux pro-républicaine sous l'influence de son maire, Fourcand, devint le siège du gouvernement Gambetta.
L'Aquitaine n'a pas connu les idéologies contestataires, et les révoltes populaires ont été généralement motivées par des revendications fiscales aux XVI et XVIIe siècles, comme à Bordeaux ou Périgueux, contre la taxe d'un écu sur le vin, ou la Fronde de 1650, dite, à Bordeaux, de l'Ormée et bien sûr, les guerres de religion dans cette province très protestante. Il faut dire qu'en Aquitaine, la population des classes supérieures était très opportuniste ou légitimiste et se préoccupait surtout de la défense de ses intérêts, voire de ses privilèges et les employés suivaient l'opinion de leurs maîtres, dans une solidarité d'intérêts. On comprend le jugement de Charles Higounet : Il n'y a jamais eu de tempérament politique aquitain. On le sait, ce n'est pas le cas du Limousin…. Ce qui n'empêche pas l'Aquitaine d'avoir eu des hommes politiques qui ont marqué leur époque, tels le Duc Decazes, Armand Fallières, Président de la République, Georges Mandel, Adrien Marquet dans les années 1930, puis Jacques Chaban-Delmas et Alain Juppé, bien après les d'Albret, Henri IV ou Aliénor d'Aquitaine, mais aussi, dans les années 1920-1940, Philippe Henriot et l'Amiral Darland. Face auxquels le Limousin peut revendiquer trois Présidents de la République (Sadi-Carnot, Jacques Chirac, François Hollande), puis Léon Betoulle, Louis Longequeue, Alain Rodet ou Robert Savy et bien d'autres, Creusois : Martin Nadaud, Émile Cornudet, André Chandernagor, ou Corréziens : Henri Queuille, les Labrousse ou Marius Vazeilles ;
Mais les situations sociales étaient bien différentes. Si en Limousin dominait donc la petite propriété et si, au milieu du XXe siècle, un domaine de 15 ha était considéré comme confortable, en Aquitaine les domaines de 40 ha étaient déjà communs dans le vignoble. Chateau-Lafite représentait 55 ha, Château Latour, 40 ; Ségur Montesquieu, 76, avec 18 métairies , sur 109 domaines de plus de 40 ha, 5 seulement occupaient 55 % de la surface (Ch. Higounet, p. 349) ;
4 - Au plan culturel et intellectuel
Comme cela a été dit, Burdigala possédait déjà, au IVe siècle, une université réputée, fréquentée par une partie des 15 à 20 000 habitants et chantée par le poète rhéteur Ausonne. Elle avait ses représentants en Espagne, à Rome, Padoue, Syracuse, Constantinople, en Syrie et même en Gaule. Elle apparaissait bien déjà, à cette époque, comme une « capitale culturelle » de l'Occident, ce qui ne sera le cas que quelques siècles plus tard à Limoges, avec l'Abbaye de Saint-Martial, puis les troubadours. La rapide progression du christianisme - point commun avec le Limousin - contribua à la réputation de ces capitales. Les deux sièges métropolitains de Bordeaux et d'Eauze apparaissent dès 314 et il est probable que les églises de Saintes et Agen sont alors en construction. La Gascogne, conquise par l'arianisme païen, ne se convertira qu'un ou deux siècles plus tard. Le Limousin comportait déjà un maillage de paroisses.
Les premières manifestations artistiques aquitaines sont celles de l'art roman, moins original qu'en Limousin, y compris dans la sculpture et le décor, plus rares et plus frustres. Saint-Front, à Périgueux, inspirée par Constantinople et Venise, est l'une des grandes réussites de cette période, comme le sont Beaulieu, Bénévent ou Solignac, où l'on peut parler d'un style limousin.
Sur le plan intellectuel, l'Aquitaine a ses références, le premier pape d'Avignon et des hommes politiques comme Armand Fallières, déjà cité, François Mitterrand, des écrivains comme Montesquieu, Montaigne et François Mauriac, des savants comme Lacépède et ses lieux culturels comme le Grand Théâtre (construit en 1773-80).
Le Limousin ne manque pas de rappeler, en écho, que Jean Dorat eut Ronsard comme disciple, les noms des Creusois Varillas, Tristan l'Hermite, Jules Sandeau, Marcel Jouhandeau, Jean-Guy Soumy, Françoise Chandernagor. Ceux, Haut-Viennois des Tharaud, académiciens, Georges Fourest, Jean Giraudoux, Alexandre Vialatte, Madeleine Chapsal, Georges Emmanuel-Clancier, Robert Margerit, Jean Blanzat. Parmi les savants Edmond Perrier, Gay-Lussac, d'Arsonval, Grancher, Cabanis, les économistes Michel Chevalier et Frédéric Le Play. Le peintre Renoir et Gilles Clément, concepteur du « Jardin planétaire » sont ou se sentent limousins. Mais aussi plusieurs troubadours et, dans le domaine artistique, des émailleurs, des tapissiers, des sculpteurs.
Où l'on peut voir qu'à la taille d'une région ne se mesurent pas nécessairement les qualités et ressources intellectuelles, économiques et sociales.
Au point de vue linguistique, l'Aquitaine a aussi été diverse et le reste aujourd'hui. Elle est, comme le Limousin et pour l'essentiel, du groupe gallo-roman, côté oc. Mais au nord de Bordeaux on est toujours dans le gallo roman français (oïl) et le gascon constitue l'essentiel de son parler historique. Or, le gascon est bien un dialecte roman, mais pas vraiment une langue originelle. Quant au basque il n'est pas une langue d'oc et le gascon en a subi lui-même des influences importantes.
Sous tous ces aspects, territorial, économique, idéologique, Aquitaine et Limousin présentent certes chacun des caractères originaux, mais si divers qu'ils n'ont jamais contribué dans le passé à constituer un groupement culturel affinitaire.
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Cette analyse permet de camper, comparativement, les acquis et les situations de deux régions voisines, en partie associées par nature ou par contrainte, d'en mesurer l'opportunité, la pertinence et les conséquences, favorables ou non, de leur association dans une nouvelle territorialité.
La Nouvelle-Aquitaine rassemble trois anciennes régions administratives et 12 départements, dont les trois limousins. Elle est la plus étendue de cette « régionalisation », égale à celle de l'Autriche, fait-on valoir.
Cette nouvelle région se compose de l'ancienne Aquitaine, dont on a vu que sa configuration a été considérablement changeante, bien que presque toujours adossée aux Pyrénées et de part et d'autre de la Garonne, incluant souvent le Limousin, jusqu'à la Révolution.
Car c'est à la Révolution de 1789 que se fera la première « décentralisation », avec la création des départements et des communes, après la suppression des généralités qui étaient des régions administratives et financières, le Limousin incluant la plus grande partie de la Charente.
Elle sera reprise en 1964 avec la création des CODER, mais tempérée par la nomination de Préfets de Régions, puis, en 1969, avec la tentative de création des conseils régionaux, qui est repoussée par une petite majorité de « non » au référendum, en Aquitaine et surtout en Limousin (56 % en Corrèze et Creuse et près de 60 % en Haute-Vienne).
En 1972, la régionalisation se poursuit avec les E.P.R. et les Comités Économiques et Sociaux. En Limousin, un socialiste, André Chandernagor est le premier Président et à Bordeaux, c'est un U.D.R., Jacques Chaban-Delmas.
La fin des années 1978 voit s'amorcer un changement politique en Aquitaine, la droite perdant une partie de son influence, même si résistent Chaban-Delmas, Guéna ou Boulin, alors qu'en Limousin elle est quasiment éliminée par les socialistes et les communistes. Ce renversement politique de l'Aquitaine et le renforcement à gauche du Limousin se confirment à partir des années 1980, en particulier avec les succès socialistes.
En mars 1982, Deferre accentue considérablement la décentralisation en supprimant les tutelles administratives et financières et prévoyant l'élection des Conseils Régionaux, mise en œuvre en 1986. La Région Limousin est alors dirigée par Robert Savy, socialiste, alors que Chaban-Delmas est élu à Bordeaux, mais grâce aux voix du Front National.
Le balancier politique penche à nouveau à droite en 1993, même en Limousin, R.P.F. et U.D.F. reprenant largement la main et François Hollande défait chez lui en Corrèze.
En 1998, Aquitaine et Limousin ont chacun un Président socialiste, Alain Rousset et Robert Savy, constituant un nouveau pôle de gauche, quasi nouveauté historique.
En 2004, les élections régionales confirment le maintien à gauche de l'Aquitaine avec Alain Rousset et son bon maintien en Limousin avec Jean-Paul Denanot.
En 2007, sous Sarkosy, c'est le statu quo ; Aquitaine et Limousin restent largement à gauche y compris à Bordeaux où Juppé est battu. En 2012, le même scénario se reproduit et les socialistes sont très largement en tête, à quelques exceptions près. Et Hollande fait son meilleur score en Corrèze. En 2009 la Commission Balladur sur la réforme des collectivités territoriales propose de ramener à 15 le nombre de Régions (22 à l'époque). Le Président Hollande et ses conseillers s'en sont probablement inspirés en 2014.
La loi de décembre 2014, votée par l'Assemblée Nationale, établit la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (A.L.P.C.), avec Bordeaux pour métropole, et 25 communautés urbaines dont Limoges, Brive, Tulle et Guéret, Limoges retenant la qualité de métropole, sans en avoir le statut.
Il est clair qu'au cours de deux millénaires Aquitaine et Limousin ont connu plus de différences et d'oppositions que de concordances ou de complémentarités, tant en ce qui concerne leur géographie territoriale que leur économie ou leur culture ; que la première a subi de nombreuses variations administratives ou politiques et que la seconde a conservé, nonobstant les aléas des intérêts des pouvoirs, les pressions et les avatars migratoires et culturels, son assise géo-culturelle et son homogénéité sociale. Certes le passé du Limousin, du moyen âge au XIXe siècle, porte témoignage de son rôle économique, social et politique, mais il ne se maintiendra pas avec autant de vigueur au XXe siècle, en raison en particulier d'une situation d'enclavement. Et on pourrait craindre, aujourd'hui, que se produise un scénario de concentration au profit d'une métropole, aux dépens des territoires périphériques et des villes de la Région.
Bien que les antécédents historiques ne puissent naturellement pas servir de modèle à de nouvelles conditions de vie, de nouvelles économies et techniques ou de nouvelles idéologies, il est d'évidence que les mentalités des temps contemporains véhiculent, leur part, même modeste, des traits de comportements, des savoirs et des usages en partie figés dans les nouvelles cultures, dans les gènes, dans le patrimoine - quasiment dans l'A.D.N. - ce que des planificateurs parisiens ne peuvent ressentir.
Ainsi, tant pour l'Aquitaine que pour le Limousin, la culture contemporaine bénéficie des acquis anciens qu'elle conserve dans une mémoire collective, laquelle alimente, aujourd'hui, même inconsciemment, les comportements et les jugements et les alimentera, peu ou prou, encore longtemps. C'est notre mythologie moderne, ce qu'ont pu exprimer Auguste Comte : l'humanité est composée de plus de morts que de vivants, ou Pierre Louÿs : la sève du printemps surgit des feuilles mortes.
Faire l'histoire d'un peuple n'est pas se borner à rappeler les événements politiques et guerriers, mais aussi et peut-être plus encore, les situations sociales, économiques, techniques et culturelles qui ont forgé son caractère et élaboré son identité.
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L'état de fait, qui est acté d'un mariage, même à la manière des siècles passés, invite à apprécier la valeur de la dot et l'éventuelle fertilité de l'union, car il est d'évidence que l'époux est aquitain et l'épouse limousine. Cependant, quoi qu'il y paraisse, l'Aquitain d'aujourd'hui ne reçoit pas l'héritage limousin comme les rois français et anglais ont pu recevoir celui de la belle Aliénor.
Quelles suites peut-on donc envisager ? Car ce mariage n'a pas fait, on le redit, l'unanimité en Limousin et ne la fait toujours pas, malgré les paroles rassurantes du Président Rousset.
Il importe sans doute de tenir compte, tout d'abord, des conditions dans lesquelles ont suivi les bans de ce mariage : d'autorité les trois conseils régionaux ont été regroupés à Bordeaux, avec les Conseils économiques et sociaux et les toutes premières décisions territoriales y ont été prises. La Creuse qui, déjà se trouvait un peu marginalisée en région Limousin, a ressenti plus profondément comme un rejet aux marges, ce qui avait été nommé, à Limoges même, l'arrière-pays de Bordeaux.
Tenue d'attribuer un nom à la région, la « commission du nom » évoquée plus haut fut réunie quatre fois et, en même temps, fut lancée une consultation sur Internet qui recueillit environ 40 000 propositions, étudiés par une autre commission composée à l'initiative de la Présidente, la Professeure Cocula, ancienne Vice-Présidente régionale d'Alain Rousset.
La « Commission du nom » délibéra au cours de quatre séances et l'analyse des réponses internet lui fut présentée. Au cours de l'ultime réunion la Commission eut à voter. Aucune majorité ne se dégagea, et « Aquitania » reçut une pluralité de suffrages.
Le Conseil régional adopta, pourtant, après intervention de la Présidente Cocula, le nom de Nouvelle-Aquitaine ; puis, sur proposition du groupe Écologiste, le sous-titre Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes fut retenu, lequel devait figurer sur tous documents officiels. Le décalage temporel que connaît aujourd'hui cet épisode d'une naissance de la Nouvelle-Aquitaine peut paraître dérisoire, mais il est symptomatique d'un certain formalisme et d'un travers de démocratie formelle.
Pour ma part j'étais favorable à une formule de type « Grand Sud Ouest Atlantique », mais le lobby viticole nous avait adressé une mise en garde contre ce type d'appellation que, affirmait-il, utilisaient des vignerons bordelais.
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Comment se présente, aujourd'hui, le fonctionnement de la Nouvelle-Aquitaine, vu du Limousin ?
Notre Région me paraît vidée, progressivement, de sa substance administrative, économique et culturelle. Les anciens élus limousins du Conseil Régional siègent à Bordeaux, la plupart des cadres et responsables sont appelés régulièrement aussi hors région. Entre 2016 et 2018, une cinquantaine d'agents du Conseil Régional Limousin sont partis à Bordeaux et 30 de la D.R.E.A.L. Les Services publics sont eux-mêmes petit à petit concentrés à Bordeaux sur invitation pressante ou contrainte, motivée par le souci d'efficacité. C'est à voir !
Plusieurs Services ou Associations pratiquent l'exode culturel ou économique dans l'espoir d'être mieux entendus et plus efficaces, voire de bénéficier d'une promotion sociale : être responsable ou seulement employé à Bordeaux est certes moins gratifiant que l'être à Paris, mais bien plus qu'à Limoges, Tulle ou Guéret ! Être près du Bon Dieu, près du pouvoir, a toujours eu plus de faveur qu'un petit « plaçou » près de ses saints. Ce n'est pas propre aux comportements présents, c'est d'une évidence sociologique ! Et la situation actuelle paraît bien le confirmer. Vous connaissez toutes et tous des exemples. Il y en a de nouveaux chaque semaine. Aurait-on cru que le sport limousin serait menacé, que Comités et Ligues seraient contraints à se rapatrier à Talence ou Gradignan et qu'il faudrait aller à Bègles pour consulter le calendrier des manifestations de pétanque ? Le C.S.P. devra-t-il résister pour conserver son sigle, où le P. serait celui de Pey-Berland, de Pessac… ou de Pau, le rival ?
Tous les domaines pourraient être ou seront touchés : par exemple le Centre Régional du Livre en Limousin rejoint la métropole ; le C.A.U.E. se regroupe avec les aquitains : ses architectes vont exercer leurs compétences sur le petit patrimoine rural du pays basque. Les Organismes ou Associations chargés du Tourisme ou de la Culture n'ont aucune légitimité à se regrouper hors de leur territoire d'activité patrimoniale.
La création d'une méga-région n'est pas un acte de décentralisation, mais de recentralisation, de renforcement ou de création d'instances étatiques et de nouveaux lieux de pouvoir, un relâchement des liens de proximité avec les citoyens, un affaiblissement de l'identité, un probable désintérêt accru des futurs électeurs, donc d'affaiblissement de la démocratie ; mais aussi, contrairement au prétexte initial, un surcoût fonctionnel et financier, une perte d'efficacité, voire un maintien ou même un renforcement d'un mille-feuilles tant décrié.
Au temps de l'Empire romain, on a aussi effectué une pseudo décentralisation et c'était pour mieux exercer le pouvoir depuis Rome. On a aussi créé des villes, dont certaines à caractère métropolitain, comme Bordeaux ou Limoges, mais c'était pour mieux « tenir » les pays et les romaniser. Peut-on établir une comparaison aujourd'hui ?
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Les choses étant ce qu'elles sont et plutôt défavorables au Limousin, avons-nous quelques leviers pour stopper l'exode régional et un état de « dépouilles » qui ne devrait pas nous mener au déclin (R. Savy) ? Oui, car le Limousin est un pays de résistance au meilleur sens du terme. Il l'a prouvé dès ses origines lémoviques, il l'a prouvé contre les stigmatisations et l'immobilisme des siècles passés, contre les démembrements territoriaux de la féodalité, par sa lutte linguistique contre la langue du pouvoir, par sa création artistique, par sa révolution industrielle et plus récemment par sa Résistance à l'idéologie nazie et, encore de nos jours, dans sa résistance contre l'archaïsme technologique et économique. Ses capacités de recherche universitaire ont conduit à la création de dizaines de start-up, dont plusieurs ont une réputation européenne ou même internationale ; sans oublier, dans le domaine agricole, la sélection de la race bovine qui obtient la faveur des éleveurs dans cinq continents.
Cette région, ce pays, parés de bien des succès, ne seraient-ils destinés qu'à se dissoudre dans une région où ils retrouveraient certes des cousins gascons mais éloignés de notre culture, de nos préoccupations et de notre créativité ?
Il est peut-être un peu tard pour sonner le réveil limousin, les Élus ayant, et même en région, accepté majoritairement ce projet de découpage sans deviner un piège que n'avaient peut-être même pas prévu ses auteurs ! Et d'ailleurs doit-il vraiment se réveiller, le Limousin ? Je n'ai pas l'impression qu'il ait été, au cours de son histoire et en particulier celle des trois derniers siècles, un bel endormi, mais plutôt un veilleur technologique, social et culturel. Et il doit maintenir, confirmer et développer son dynamisme, son savoir-faire, ses qualités d'innovation, tenir sa place dans le concert régional, national et européen, faire preuve d'ambition et mettre ses qualités au service commun régional. Pour remplir cette mission, il doit jouir de sa propre personnalité, conserver et valoriser son identité et, dans toute la mesure du possible, en collaboration avec la nouvelle Région, qui doit être sensible et attentive à cette revendication. La défense de la personnalité limousine renforcera en même temps les capacités de la grande Région en lui accordant la dynamique d'un certain fédéralisme et l'adhésion des populations.
Ces recommandations supposent le renforcement, dans une situation d'administration pluricentrée, de démocratie locale vivante exercée à la fois par des Services, même liés au pouvoir régional et, surtout, par un réseau dense et actif d'Associations étendant leurs actions à tous les domaines de la vie économique, sociale, culturelle, idéologique. On pourrait peut-être même, à la limite, réclamer, en situation gravement défavorable, le principe de péréquation entre nouvelle et anciennes régions, selon ce que Robert Savy a fait accepter pour l'Europe
Ma proposition n'a pour modèle, on le comprend, ni celui d'Iparretarrak à la bas-quaise, ou d'un isolationnisme catalan, mais celui d'une co-gestion régionale démocratique, plus populaire que politique, plus autonomiste que centraliste, plus libérale qu'autoritaire, plus citoyenne qu'administrative, un véritable « vivre ensemble ».
Comme le nouveau dispositif régional néo-aquitain a autorité sur les anciennes régions et qu'une modification structurelle doit recevoir son aval, tout changement, toute amélioration, toute revendication devront préalablement recueillir, en région, pour être traduits politiquement, une très forte adhésion populaire représentant une force de pression décisive.
Le passage de Limoges en métropole, déjà évoqué, même par la médiation d'une « communauté urbaine », ne pourra aboutir par des voies législatives, actuellement exclues. Certes Limoges a tenu jadis, de fait, cette fonction métropolitaine, en raison de son rôle économique et commercial, culturel et artistique. Mais il faudrait éviter que son attractivité se réalise, aujourd'hui, aux dépens de l'environnement régional, tant rural qu'urbain. Il faut éviter de siphonner un territoire au seul profit d'une métropole, quels que soient son intérêt et son état d'esprit.
Cependant la récente attribution, par l'I.N.P.I., du label I.G.P. à la porcelaine et, par l'UNESCO, de « Ville créatrice » à Limoges, sont des reconnaissances, même tardives, de leur grande qualité et la campagne d'affichage sur la Nouvelle-Aquitaine est une bonne initiative qui pourrait être reprise pour l'ensemble du Limousin, pour rappeler sa personnalité et affirmer sa volonté d'existence.
Plutôt que gémir, comme on l'a fait naguère - et quelquefois aujourd'hui ! - sur le retard et l'immobilisme de notre région et en faire même de l'autodénigrement, il est temps de faire valoir tous nos atouts, de les faire connaître et reconnaître, de les multiplier, de les valoriser, de les renouveler. Plutôt que de revendiquer un « rattrapage » à l’État, prenons en mains nos capacités qui sont grandes en tous domaines et soyons ambitieux !
On pourrait dire que ce sont là des utopies, mais comme plusieurs ont déjà pris racines en Limousin, ça n'en ferait que quelques autres ! On ne va tout de même pas déclarer le Limousin en ZAD, sans route des chicanes, mais avec valorisation de notre patrimoine, naturel et écologique, des landes et bruyères et des eaux vives. Une Cité internationale de la céramique, qui est aujourd'hui suggérée, certes, nous en avons la légitimité. Mais encore et ce serait complémentaire, une Cité de l'Art et de la Culture avec les émaux et la tapisserie ou même, pourquoi pas, une Cité de l'Économie Sociale et Solidaire, thème où nous avons montré l'exemple et du patrimoine, y compris de la langue limousine. Ces diverses instances pouvant d'ailleurs être regroupées et mises en complémentarité dans une vaste Maison de la Culture limousine ou une grande Université Populaire pluri-centrée, dont le fonctionnement serait assuré par des contributions publiques, mais aussi volontaires et bénévoles, et qui donnerait à voir, bien sûr, mais aussi à savoir et même à pouvoir.
Nous avons à faire des choix de valorisation des territoires, d'illustration des cultures, de défense du pluralisme et des identités, à faire valoir, au profit de la communauté régionale, selon l'affirmation du Président Rousset, devant les élus de Limoges Métropole, le 3 février 2018 : « c'est le territoire qui dicte ses priorités à la région (…) ». Or, des priorités, le Limousin en a, comme sans doute les autres anciennes régions. Son mariage avec l'Aquitaine ne doit limiter ni ses ambitions ni sa capacité d'expression.
Il doit d'abord compter sur lui-même, valoriser ses atouts et ils sont nombreux, taire quelques querelles, mobiliser les bonnes volontés, les médias, les associations, les élus...
Le Limousin pourrait enfin susciter une Association légitime chargée de fédérer les propositions et initiatives, s'assurer de leurs utilité et faisabilité. Il en existe déjà qui ont, en partie au moins, ces vocations et capacités, dont l'A.R.A.L.
Ma conclusion sera la suivante : dans cette période de transition et d'installation de la Nouvelle-Aquitaine, attachons-nous à défendre la permanence, la personnalité et l'identité du Limousin, ses acquis et ses potentialités, avec un esprit de vivre ensemble. Conservons et valorisons notre savoir-faire sans nous priver de le faire savoir. Mais gardons-nous d'approuver et d'appuyer des projets plus ou moins pharaonesques comme la L.G.V. Poitiers-Limoges, ou mégalomanes, comme ceux qu'on a connus dans les Monts de Blond et à Ballerand et de succomber, au point de faire de l'auto-dénigrement, aux railleries des Molière, des Rabelais ou aux maniaques du limogeage. Sans dissoudre le Limousin dans une grande région trop composite et sans âme, continuons à y travailler, à y créer, à y vivre, avec les mêmes capacités, qualités, ambitions et soucis d'accueil et de coopération.
Si le nouveau maillage territorial se révèle favorable au développement économique, social et culturel, à des améliorations des conditions et mode de vie des citoyens, nous, Limousins, serons heureux d'y participer activement, dans le droit fil de notre histoire passée et contemporaine, pour en assurer la commune réussite, dans l'estime et le respect mutuels.
Maurice ROBERT