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Ce territoire auquel on appartient

Ce territoire auquel on appartient ou le sentiment d'appartenir à un terroir

En ces temps de crise sanitaire que nous traversons la question devient encore plus aiguë et prend tout son sens. 

Alexandre Dumas écrivait déjà en 1864, alors que les campagnes commençaient à se vider et les villes à grossir : « Mais le pays, ce coin du monde où Dieu a placé le berceau de quelques privilégiés et autour de ce berceau, tous les souvenirs des premières années de la vie, combien peu d’hommes le possèdent ! Je suis de ceux-là ». 

Il n’y a pas de production mécanique de ce sentiment. Il se développe dans une dimension irrationnelle, subjective, qui oeuvre à notre insu. Il s’agit plus de connivence que de relation objective avec un espace donné, plus d’émotion que d’évidence objective. Ce lien atteint un degré intense d’intimité lorsque nous nous apercevons que ce terroir nous ressemble, est un prolongement de nous-même.

Des croyances traditionnelles, des coutumes ancestrales, des rites, se sont effondrés ou délités depuis un demi siècle au moins. Le besoin d’appartenir à un terroir ne permet-il pas de combler un vide ? Ne répond-il pas à une perte ? 

Nous sommes tous des héritiers, le produit de l'histoire de nos ancêtres. Nous appartenons à une lignée, qui, elle-même appartenait à des territoires, des climats, qui ont marqué leur mode de vie. Ainsi, notre psychisme est intimement lié à la géographie que nous occupons, à nos héritages. Il existe aussi un psychisme du paysage, indissociable des hommes qui y ont vécu depuis des siècles qui fait que la personnalité sort du « sujet » pour colorer le cosmos. C'est le cordon nourricier qui nous lie aux éléments.

Le sentiment d’appartenir semble correspondre à un besoin d’identité qui reste très fort chez l’homme moderne. L'homme et la terre qu'il peuple depuis des siècles, voire des millénaires, sont « interactifs ». L'un influence l'autre. L’appartenance est peut-être aujourd’hui un refuge contre tout ce qui menace notre identité. Dans quelle mesure assure-t-elle un équilibre à l’homme moderne dans ce mouvement pendulaire qui le tourne tantôt vers le mondial tantôt vers le local ? Si le mondial est partout présent dans les médias et internet, ce sentiment facilite un mouvement de retour peut-être salutaire.

L'homme ne peut assurer une diversité culturelle, un échange entre les cultures, s'il n'y a pas d'identités enracinées dans une géographie. Est-ce que l’une des illusions et peut-être des erreurs du monde contemporain n’a pas été de croire que l’homme pouvait vivre facilement coupé de son milieu géographique ? 

La constitution d’une identité « territoriale » ne nous permet-elle pas  de transporter avec nous un espace identitaire intériorisé, qui nous sert de défense et de protection face à un mode de vie qui nous invite à nous disséminer, à vivre de manière consumériste dans l’immédiateté et la superficialité des rapports? Celui qui a le sentiment « d’appartenir » essaie peut-être de lutter contre un monde qui tente de nous mettre hors de nous-mêmes, un monde qui relève du quantitatif. Il s’appuie sur des qualités, des émotions qui se développent en dehors de tout système utilitariste.

Il est intéressant de se demander aussi ce que devient ce sentiment dans le cas de « l’exode » moderne. Le sentiment d’appartenir est-il le même en présence de l’objet : le terroir auquel on appartient ou dont on sent qu’on en fait partie et dans l’éloignement, l’absence qui peuvent être vécus comme exil? Le mal du pays est le lieu peut-être le plus aigu de l'expérience de ce sentiment.