Découvrez un immense écrivain : François Cheng
L’ oeuvre de François Cheng est unique et difficile à classer. Cette oeuvre réunit la culture orientale et la culture occidentale de façon profonde, les deux cultures, les deux sensibilités, les deux visons du monde, les deux formes de spiritualité de l’Orient et de l’Occident. La nostalgie de l’Orient existe bien sûr dans cette oeuvre et pourtant elle ne fait pas de lui simplement un poète de l’exil, car il y a une force positive dans ce qu’il écrit qui vise une portée universelle et qui l’emporte. C’est le monde entier, le cosmos qu’il regarde toujours, la nature d’ici et de là-bas.
Son oeuvre se construit autour de 3 grands pôles qui tissent spontanément des liens entre eux : une quête de l’âme, une quête de la beauté, une recherche de la poésie dans toutes ses formes, tous ses états, une harmonie enfin.
1- une quête de l ‘âme
Cette quête de l’âme que l’on pressent toujours primordiale dans tous ses écrits (romans, poésie, essais sur l’art), François Cheng lui a consacré en 2016 un livre émouvant, De l’âme, sous la forme de 7 lettres adressées à une amie artiste qui écrit la première et à qui il répond sur une question qu’ils avaient abordée autrefois, la question de l’âme, si inactuelle, si peu à la mode depuis la fin du romantisme au XIXème.
François Cheng y répond en s’ appuyant sur des exemples de sa vie personnelle et des exemples empruntés à la culture orientale et chinoise en particulier, aux religions orientales, à l’hindouisme, ainsi qu’au catholicisme et judaïsme.
2- Une quête de la beauté.
Cette beauté pour François Cheng est d’ abord inséparable de la nature, du cosmos et de l’âme dont nous venons de parler. Elle est présente dans de nombreux essais sur la peinture chinoise comme Vide et plein, dans les romans, en particulier Le dit de Tian-Ty qui raconte la vie d’un peintre tourmenté, elle est omniprésente dans les poèmes et l’auteur lui a consacré un livre magnifique, un essai : Cinq méditations sur la beauté.
La beauté selon F.Cheng dépasse la seule contemplation esthétique. Elle suscite l’émotion la plus haute que nous pouvons ressentir dans un échange qui nous dépasse et qui relève d’une sorte de grâce fulgurante qu’il faut savoir saisir. Sans ce fond puissant de spiritualité et d’âme, le désir de beauté se limiterait à un objet de beauté. Mais François Cheng rejette ce point de vue étriqué car le désir de beauté “aspire à rejoindre le désir originel de beauté qui a présidé à l’avènement de l’univers, à l’aventure et la vie”.
Le désir de beauté ne peut se limiter à un objet de beauté, car il il dépasse la notion d’objet, il suscite une naissance, il est la vie dans ce qu’elle a de meilleur. François Cheng rappelle dans la troisième Méditation son critère de base : “est vraie beauté celle qui relève de l’Etre, qui se meut dans le sens de la vie ouverte”.
3- La quête poétique dans tous ses états :
François Cheng est avant tout un poète. La poésie est dans tous les écrits de François Cheng, car François Cheng, quel que soit le genre qu’il aborde, est en premier, dans son âme, un poète. Essayons de définir sa conception de la poésie.
François Cheng comme tous les grands poètes, ne reproduit pas le monde, il le produit. Il considère la poésie comme ce qui rapproche le plus l’homme de l’univers. Poésie et spiritualité sont inséparables. Le poète vise à un autre moyen de connaissance. Par-delà la connaissance rationnelle, il tente d’atteindre une communication directe, intuitive avec les choses. Il se rapproche du primitif et du mystique pour en saisir les correspondances profondes. Poésie et mystique s’acheminent vers cet état où s’efface toute contradiction en s’arrachant au monde des apparences pour s’élever à la contemplation de l’unité. Le poète cherche à se rattacher à un Tout qui le dépasse mais dont il fait partie. François Cheng est évidemment un poète lyrique. Le lyrisme est mouvement. Il correspond à l’étincelle d’une sensibilité poétique au contact de la réalité la plus profonde. Le lyrisme va vers l’inconnu, il participe du mystère. La connaissance lyrique n’est ni successive, ni progressive, elle est un emplissement immédiat de la connaissance. L’acte poétique correspond à un essai de passage du temps profane, historique, du chaos et du non-être, au temps mythique des commencements, au temps sacré, temps de la communication du cosmos et de l’être.
Nous allons maintenant citer simplement quelques poèmes de François Cheng : Avant de vous faire découvrir cette dimension orale à travers la lecture de trois
Un iris,
Et tout le crée justifié;
Un regard,
Et justifiée toute la vie.
*
Lumière juste érigée
En chemins, en collines,
En cyprès...choses lointaines
Ou proches que jamais
Nous n’avons révélées,
Faute de mots exacts
Et d’un coeur transparent.
*
Entre deux rochers
Surplombant le vide
Le pin ivre d’écoute
Dira nos secrets
Oiseaux du matin
Ni brumes du soir
Jamais ne rompront
Le fil de nos voix
Voix échangées là
Au hasard d’un jour
Un jour par-dessus
Les années _
Lumière
*
Il neige dans la nuit,
En secret, en sourdine.
En un instant, la terre
S’éclaircit, s’épaissit;
L’air froid cède le pas
A une douceur subite.
Longtemps privés de feuilles,
Les arbres se sentent pousser
Des ailes; de branche en branche
Ils suspendent des guirlandes,
Criant : “Demain la fête!”
A l’aube, tout est fin prêt,
Tous s’habillent de neuf.
Conviés au grand festin,
Intimidés, mésanges
Et merles osent à peine
Bouger leurs pattes, de peur
De salir la nappe blanche...
Sur le pré, l’énigmatique tortue,
à la démarche immémoriale,
En quête de quel secret tu?
De quel oracle inaugural?