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Redécouvrez Albert Camus

en lisant la biographie d'Alain Vircondelet : Albert Camus, fils d'Alger

Certains d’entre vous ont relu La Peste en ces temps de guerre sanitaire....

Alain Vircondelet sait, quand il entreprend une biographie comme celle, magistrale et neuve qu’il a consacrée à Albert Camus, que l’imaginaire est une voie qui permet de penser là où le savoir est défaillant. La démarche d’Alain Vircondelet ne correspond à aucune approche de la critique universitaire qui se déploie autour d’un système d’analyse. Universitaire lui-même, l’écrivain Alain Vircondelet se libère de ces approches, les dépasse, refuse un système d’explication pour se fier à une intuition qui est dans son cas géniale et qui lui donne une liberté d’interrogation et d’investigation totale.

Devant une telle réussite, une biographie aussi originale qui est elle-même une oeuvre d’art, on ne peut que reconnaître la magnifique intuition qui permet à cet écrivain d’aller en même temps au coeur de l’oeuvre et au plus profond de la personnalité d’un autre artiste.

Finalement on s’aperçoit vite que le terme générique utilisé biographie- n’est pas complétement pertinent tellement ces livres correspondent à un art particulier. Il est difficile d’ailleurs de définir une biographie d’Alain Vircondelet comme il est difficile de se débarrasser du terme “biographie”. Comme trame du récit, puisque nous avons un récit, -le récit d’une vie-, tout ce qui fait une biographie bien informée, très sérieuse, est là. Alain Vircondelet s’appuie sur des documents irréfutables, sur des témoignages toujours précis, sûrs, sur une bonne connaissance de la correspondance de l’auteur. Toutes les qualités d’une biographie historique, classique sont réunies. Rien ne manque. Mais tout cela n’est que la trame, chronologique, à partir de laquelle l’artiste Alain Vircondelet va approfondir son examen de l’auteur. Il n’est pas sûr que les mots examen ou analyse soient appropriés pour définir le projet d’Alain Vircondelet. Un tel art biographique me paraît unique.

Fort de l’exactitude des faits et de la connaissance parfaite des oeuvres, l’auteur s’autorise ensuite à entrer dans la personnalité de l’auteur choisi, à l’aide d’une intuition puissante, soutenue par une sensibilité et un imaginaire qui n’a rien de gratuit, même si Alain Vircondelet revendique la subjectivité la plus totale. Devant une telle réussite, une biographie aussi originale qui est elle-même une oeuvre d’art, on ne peut que reconnaître la magnifique intuition qui permet à cet écrivain d’aller en même temps au coeur de l’oeuvre et au plus profond de la personnalité d’un autre artiste.

Au début d’ A.Camus, fils d’Alger, il explique très clairement sa démarche :

“Comprendre Camus, c’est d’abord le lire et l’entendre au filtre de l’Algérie. Pour entreprendre un tel projet biographique, il me fallait assumer la subjectivité de mon regard.”. Il ajoute deux pages plus loin : “ce fameux regard dont il était question plus haut, qui donne le ton et révèle une couleur. Cette démarche ne fait pas l’économie de l’intuition et de la proximité secrète que le biographe peut entretenir avec son sujet”.

Le biographe de Camus revendique la “subjectivité du regard” pour entrer dans un ”sujet”. Ce dernier terme est crucial. La démarche d’Alain Vircondelet ne consiste pas à étudier l’oeuvre et la vie de Camus comme s’il s’agissait d’un objet que l’on aurait la prétention d’expliquer une fois pour toutes. Notre biographe poète sait au contraire qu’aucun biographe -quelle que soit sa méthode- ne peut en finir avec sa recherche, car sa recherche - sur tel ou tel artiste- c’est la vie, la vie qui est elle-même, comme il le rappelle dans A Camus fils d’Alger ,“fluide et moirée” demeurant ainsi “insaisissable et inaccessible”.

Cette subjectivité totale revendiquée permet à l’artiste d’entrer au plus profond dans la personnalité de l’auteur présenté, représenté, mais admet en même temps l’insondable mystère de l’oeuvre étudiée. Le regard subjectif ne se porte pas sur un objet mais cherche à entretenir un lien avec un sujet qui n’est jamais figé car la vie est mouvement. L’imaginaire de Camus n’est pas un objet, un magasin d’images, une sorte de réserve passive, c’est une relation, un trajet anthropologique.

Cet art si particulier de la biographie ne repose sur aucune théorie. Le lecteur d’Alain Vircondelet ne peut s’empêcher de penser à un grand philosophe français qu’on ne lit plus assez aujourd’hui : Bergson. Pour Bergson, ce qui saisit le mouvement, la vie, c’est l’intuition, pas l’intellect. L’intuition est pour ce philosophe plus proche de la réalité, de la vie que l’intelligence ou le concept, car l’intelligence segmente. Il pensait aussi qu’on était plus proche du monde par l’art, la musique, la poésie. Nous pensons d’autant plus à Bergson que la démarche d’Alain Vircondelet est pour nous une démarche d’artiste, de poète. Ce rapide détour par Bergson nous rappelle aussi l’opposition que ce philosophe faisait entre le temps mécanique (celui de la montre) et le mode de la durée. La durée bergsonnienne est du côté de l’intériorité. C’est bien dans cette intériorité qu’Alain Vircondelet installe ses lecteurs. Pour cela il a pris ses distances avec l’intellect qui découpe par séquence et reconstruit artificiellement la réalité qu’il observe. Ce biographe n’a pas de méthode définie à priori, pas de démarche codifiée, mais une confiance étonnante à s’emparer des facultés créatrices de l’imaginaire dans la révélation profonde que l’imaginaire peut seul atteindre. Comme Bergson, Alain Vircondelet du concept car le concept ignore superbement les différences spécifiques. Loin de rendre compte de la réalité dans son épaisseur, dans sa complexité, il sélectionne, classifie, réduit la réalité et au bout du compte il appauvrit la richesse de l’être en le nivelant.

Cette critique place ainsi le lecteur d’Alain Vircondelet au coeur du secret de la représentation et de l’écriture artistique, de la personnalité d’Albert Camus, au plus profond de sa vision. La représentation est susceptible de modification et de changement. La représentation ne change que sous la force d’une conviction intime, c’est-à-dire d’une valeur invisible qui modifie en profondeur chaque objet, chaque être que nous percevons.