Vous trouverez sur cette page un choix de poèmes et le témoignage émouvant de Michel Bruzat, Directeur du théâtre de la Passerelle, qu’il a lu le 15 février 2020, à l’occasion de la présentation du livre Joseph Rouffanche, une grande voix poétique (PULIM).
Joseph Rouffanche, grand poète lyrique, discret et exigeant, a vécu en Limousin, loin de Paris, de ses modes et de ses snobismes. Il n’a pas connu la renommée nationale que son œuvre méritait de rencontrer. Sa poésie n’existerait pourtant pas sans le Limousin, terre inspiratrice et fondatrice de l’écriture. Il ne s’agit pas pour autant d’une œuvre régionaliste. Elle nous plonge dans une méditation plus large sur l’être, la mémoire, le temps. C’est cette écriture moderne, épurée, universelle, ainsi que son étonnante évolution vers la forme brève – presque le haiku – que nous vous invitons à découvrir.
- il eût fallu
La porte au marteau lourd m’interdisait l’entrée
du parloir de l’enfance où se trouvait la clé,
où reposait le cœur des moments qui enchantent.
J’avais perdu le chiffre et le nom du coffret.
Dès lors j’appartenais au chagrin de décembre.
Il eût fallu l’orange et le gui de noël,
La voiture d’infirme et sa plaie sur le ciel,
La main de l’enfant roux, la tenture chantante,
Les bras forts du soleil, la couronne d’amante,
La plage où s’est baignée la neige aux pattes blanches.
Il eût fallu l’auberge au vin de géranium,
L’élan vert du cerf blanc, le vent de palladium,
Les lustres éclatés de l’année mariale
Et l’odeur de sapin des traînes triomphales.(LML)
*
« au pays qui se délite » :
Le ciel limousin se délite.
Du soupir des grands arbres
Monte un chant grégorien.
Les tombes sont fleuries,
La campagne s’éteint
Et les fleurs de Toussaint
Veillent mystiquement la pierre granitique.
Insidieusement la montagne s’effrite ;
Les routes de sapins sinuent dans la campagne ;
Des lambeaux de rousseur ont escorté les femmes,
Des veuves, filles, sœurs,
Etonné la blancheur.
Hors les chênes parés d’automne,
Les places n’ont rien ni personne.
D’arrières-boutiques savourent
Le massepain fleurant les antiques amours.
Et reluit aux quincailleries
Le regard de loup de la nuit. (AO)
Les vaches dans le vent d’automne,
Dans l’odeur de rave et de pomme,
Les vaches dans les soirées bleues,
Savent-elles ce que Dieu veut ?
Sais-je pourquoi je suis sur terre,
Sous la tutelle du mystère
Qui me nourrit et m’entretient
D’un bleu et d’un morceau de pain ?
Les vaches vont au vent d’automne
Dans l’odeur de rave et de pomme.
Savent-elles ce que Dieu veut
Les vaches dans les soirées bleues ?
L’ancienne
La neige est l’ancienne ;
La neige est d’autrefois.
Elle a déjà couvert
Le pré de la misère,
Et les châtaignes noires
Et les corvées du roi.
Il a déjà neigé
Sur les coupes de bois,
Sur les bords de ton verre
Profond entre tes doigts.
La grisaille des pierres
En blancheur la reçoit,
Les hameaux qui l’espèrent
Ecoutent cette soie.
Il a longtemps neigé
Sur les cloches d’église
Mais pas assez neigé
Sur toi, petite fille.
Il neige sur l’auberge
Où les horloges cousent,
Sur les bûches du feu,
Sur l’encre de ta blouse.
Les crayons de couleur
Sont tombés dans la neige,
Les crayons de couleur
Qu’aimante la blancheur.
Il a déjà neigé
Sur les châtaignes noires ;
Il a déjà neigé
Sur les coupes de bois.
La neige est l’ancienne ;
La neige est d’autrefois.
Jardin clos
Jardin clos de mes nuits
Où je vais sans rien dire
- Chair mate sans écho
Sans gemme sans sourire-
Jardin clos de mes nuits
Qui n’a pas de parure,
Absence de la fleur,
Vacance de verdure,
D’où vient que tu m’attires,
O patrie sans soleil,
Grand jeu désespérant,
Impasse sans sommeil,
Jardin clos de mes nuits,
Sans gemme, sans sourire.
Poème de l’eau douce
Dans mon pays, on n’allait pas jusqu’à la mer,
On ne comprenait que l’eau douce.
On avait un grand amour de l’eau douce
Et du petit pays qui va de l’hiver à l’hiver.
Dans mon pays, on contemplait les bêtes de l’eau douce,
On déchirait les bêtes de l’eau douce,
Mais la tête tenait au ciel.
Dans mon pays l’été nourrissait un appel.
Le souvenir creusait son étang de cœur vert
Où nous nous amarrions pour supporter la terre.
Rectitude heureuse
L’hiver vient jusqu’aux carreaux
Par le chemin fantomal.
Rien ne vaut la rectitude
Des chemins sous la gelée.
Quittant les menus propos
Vers eux la pensée s’absente.
On se sent devenir pierre
Heureuse parmi les pierres,
Glorieuses d’être blanches.
Le dernier chanteur
L’été fut de haute taille.
On vénérait son chant bleu.
Les faucheurs laissaient les prés
Purs comme au début du monde.
Vint le dernier chanteur,
Vint la plus belle fin d’été,
Vint l’ombre la plus chaste sur le pré.
Pas de pleurs. Surtout pas de pleurs.
La grâce d’un sourire immémorial leur plaît.
Seul pays
Il est pourtant devant mes yeux d’espoir
Pleins de l’air en cendre et de brouillards lourds,
Le seul pays, mon règne et promesse de règne.
L’oiseau risque son cri dans une île inondée,
Un coup d’aile au couchant parcourt le vieil hiver,
Un fruitier, au jardin, refleurit pour toujours.
Poulains noirs
Chrysanthèmes, myosotis,
Mes poulains noirs s’en sont nourris.
Dans les artères de mon cœur
Ils ont bu l’été en liqueur.
Ils ont de grands yeux mordorés
Comme lumière sur les près,
Un corps velouté d’automne.
Tout autour d’eux croulent les pommes.
L’épouse
L’épouse attend l’échange
L’installée, la tranquille,
L’assise sous le ciel,
L’appelée, souriante.
La voilà qui remonte,
A la rampe se penche
Devant le bétail rouge
Elevé sur la neige.
O fausse indifférente,
La journée retournée
Et le givre m’éclairent
Avant notre hyménée
Tes dons crépusculaires.
A la patience
Je suis une eau bloquée dans un âge de pierre
Qui ne peut oublier son interdit de ceil.
Se délivrer peut-il un jour être possible ?
Nul ni rien ne le dit : le temps n’est plus chanteur.
Son rossignol est vieux il demeure voilé ;
Et las comme des yeux son chant est esseulé.
Vos fleurs à mon miroir pour consoler mon deuil
Ce charme dans ce noir ces parfums m’ont touché
Patience ancien recours inusable lenteur.
Le fol amour
Le ciel est haut
La buse plane
L’acacia embaume
Tu ris.
Nous avançons
Parmi les flammes
De l’été
Dans notre folie.
Fleurs du sureau.
Au loin
Emplettes de l’été.
*
Buse.
La canicule.
Un couple à son amour.
*
Haies marron.
Cris sauvages.
L’automne.
*
Pacage dans les joncs.
Le vieux poney.
Il neige.
Tablier Bleu (in memoriam)
Peux-tu fendre le bois ?
Dit le père à son fils
Parmi l’irisation
Sous les feuilles qui tremblent ?
L’occident de verdure
Aimantant le ruisseau
Son vieux tablier bleu
Hors de l’ombre des trembles assagit le soleil
Retient toute la terre
Obèse
Assise dans l’attente
La vaste femme obèse
Sous les frondaisons amples
Près des naïves fleurs.
Petite fille
Petite fille dans la brouette
Au poignet droit
Fleurs de jonquilles
Et ce sourire !
Ce sourire !
Alezan
Jonquilles à leurs transes.
Haut sur pente de pré
Alezan fier dressé
Dans ses socquettes blanches.
Tandis que le ruisseau
A son insu pressent
L’averse son amante.
Témoignage de Michel Bruzat :
Je ne serais pas là si je n'avais pas croisé Joseph ROUFFANCHE sur mon chemin, Joseph et son cartable, sa veste et son pantalon de velours vert.. Sa silhouette ne m'a jamais quitté, son côté Rimbaud... « Romps tes liens, brise tes amarres »
Un homme debout, en marche, en mouvement, le geste de la main dans les cheveux, il était traversé ! Son engagement, son mal au monde, son enthousiasme, ses colères, son charme, son romantisme. Je pense à une phrase de Roger Blin qui irait bien à Joseph : «s'il avait eu les mains coupées, il aurait continué à écrire »
Il m'a transmis une manière non classique d'enseigner, de donner, d'enflammer. Je sais maintenant qu'enseigner permet de continuer d'apprendre. Il me fait penser à Ysé « il ne faut pas comprendre, il faut perdre connaissance ». Surtout il m'a permis de me mettre en vie, et debout sur la table j'étais sa réplique, nous jouions ensemble. Malgré l'absence d'écoute de la classe — il y avait un décalage-, il ne lâchait rien, il brûlait, il était une lumière.
Comme le dit l'ami Pessoa, on voyage avec son enfance, on voyage avec soi-même. Moi je voyage avec Joseph depuis 50 ans !!!
Pour reprendre les mots de René Char, j'imagine que cet homme ne se serait courbé que pour aimer. Athlète affectif, il m'a fait respirer l'air du large, cet air de liberté qui fait dire à Claudel « l'important ce n'est pas d'arriver mais de partir » Et puis il n'était pas seul... Le rôle de sa femme, à mes yeux a été essentiel. Et il est toujours incroyablement vivant au travers de la présence engagée de sa petite fille, Amélie.
Joseph, peut-être pourrais-tu simplement à minuit m'envoyer un message par les étoiles... ? !!
Michel Bruzat